Pourquoi philosopher sur l'intelligence artificielle ?
Aujourd'hui l'intelligence artificielle se propage massivement, comme un virus, dans le monde entier. Pour vous en donner une idée, en 2024, on n'a pas moins de:
- 8 milliards de requêtes effectuées sur Google chaque jour,
- 5 milliards de photos prises par des smartphones chaque jour,
- ou encore 4 milliards de swipes sur l'application Tinder chaque jour.
Et on a tout autant d'analyses automatiques, dans les data centers, du comportement des utilisateurs, de leurs photos, des messages qu'ils s'envoient et tout autant de recommandations automatiques de vidéos et d'articles en tout genre. Et qu'on le veuille ou non, tout le monde est touché, de près ou de loin, par ces technologies. Au milieu de ce tumulte technologique, les mots de François Rabelais résonnent comme un avertissement : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme." Ils invitent à la prudence, à la réflexion, voire à une forme d'humilité devant la puissance de nos découvertes. Alors peut-être devrions-nous nous accorder un temps de réflexion. Pourquoi, ou plutôt pourquoi pas, philosopher sur l'intelligence artificielle ?

Le philosophe et l'ingénieur
Bon et tout d'abord, qu'est-ce que la philosophie ? La philosophie, littéralement l'amour du savoir, c'est l'art de questionner la réalité, de remettre en cause les évidences, et d'aller au bout des choses. Faisons un parallèle, une comparaison, entre l'ingénieur et le philosophe. Tous deux partent d'une question, et cherchent une réponse. L'ingénieur, par exemple, tente de répondre à la question suivante : comment faire décoller une fusée ? De là, il va élaborer une réponse, une solution concrète: on sait que brûler du carburant permet de dégager de l'énergie cinétique. On peut diriger cette énergie pour obtenir une force de poussée, et ainsi déplacer un objet dans la direction opposée. Cela amène d'autres questions : quel carburant choisir ? Quel matériau sera capable de résister à la chaleur produite, et aux rayons cosmiques une fois dans l'espace ? Mais ces questions s'ajoutent toujours dans le but de résoudre, concrètement, le problème initial : Comment faire décoller une fusée ?
Le philosophe, de son côté, se questionne. Et il questionne la question même. Comment faire décoller une fusée... Mais déjà, pourquoi faire décoller une fusée ? Et à nouveau, la question en amène d'autres : Pourquoi aller dans l'espace ? Quel est le sens, la raison profonde qui motive cette soif de conquête ? Qu'est-ce que le progrès technologique ? Et puis ce progrès, est-il réellement un progrès ? Cette différence est cruciale : pendant que l'ingénieur élabore des solutions techniques, le philosophe explore le « pourquoi » qui se dissimule derrière chaque projet.
Pourtant, il ne s'agit pas d'opposer la philosophie et l'ingénierie. Au contraire, elles se complètent : l'une questionne le but, l'autre se penche sur les moyens. L'une interroge l'essence des choses, l'autre leur substance concrète.

Et l'IA dans tout ça ?
Dans le contexte de l'intelligence artificielle, cette complémentarité est cruciale : Nous pouvons construire des modèles toujours plus performants, mais avons-nous pris le temps de réfléchir aux implications sociales, éthiques et même existentielles de leur déploiement ?
Les avancées en IA se concentrent souvent sur des questions techniques : Comment développer des modèles de langage toujours plus puissants ? Comment générer des images toujours plus réalistes ? Comment fabriquer une voiture autonome ? Comment maximiser le temps d'écran des utilisateurs ? Ou encore, est-il possible de lire dans les pensées à partir de données d'électroencéphalogramme ? Mais, là encore, la philosophie nous pousse à prendre du recul : Pourquoi ? Pourquoi faire tout ça ? Dans quel but ? Quels sont les risques ? Quels sont les impacts sur l'humain ? Et en cas de problème, qui est responsable ? Peut-on tomber amoureux d'une IA, et qu'est-ce que cela dit de notre rapport au virtuel ? Une IA peut-elle faire preuve de créativité ? Et si oui, qu'est-ce que cela change dans notre vision de l'artiste ? Plus profondément encore, une machine peut-elle être douée de conscience ? Qu'arriverait-il alors à notre définition même de l'humanité ?
Prendre le temps de philosopher, c'est en quelque sorte questionner la direction prise par l'histoire. C'est se demander si le progrès technique est nécessairement un progrès pour l'être humain. Se demander si nous sommes prêts à déléguer certaines responsabilités à des machines, à leur confier nos décisions, voire notre avenir.
Ça fait beaucoup de questions. Et nous commençons tout juste l'exploration. Philosopher sur l'IA, c'est s'assurer que cette technologie serve l'humain, respecte sa dignité et n'alimente pas inconsidérément ses travers et ses biais. C'est réfléchir à l'impact sur nos libertés, notre intimité, notre rapport au travail ou encore notre manière de nouer des relations.
Science sans conscience n'est que ruine de l'âme
Même si cela peut sembler abstrait, la philosophie est un guide précieux : elle nous rappelle que nous ne sommes pas que des ingénieurs, ou des consommateurs. Nous sommes aussi des êtres capables de remettre en cause la finalité de leurs inventions, d'interroger leur essence et d'imaginer, ou peut-être de rêver, à un futur qui reste profondément humain.
Philosopher sur l'IA, ce n'est pas s'éloigner de la réalité, c'est au contraire y revenir. C'est nous donner les moyens de maîtriser notre destin technologique au lieu de le subir. Et c'est donc ce que je souhaite proposer sur cette chaîne, Philosoph-IA : ouvrir le débat, et donner à chacun les éléments nécessaires à la compréhension des technologies, et à une réflexion plus profonde sur les avancées dans le domaine de l'intelligence artificielle.
Là où l'ingénierie nous propulse vers les étoiles, la philosophie nous ramène à la question la plus essentielle : Pourquoi ? Et si, comme le soulignait Rabelais, la science sans conscience n'est que ruine de l'âme, alors tâchons de faire en sorte que l'intelligence artificielle ne soit pas simplement l'expression de nos prouesses scientifiques, mais aussi le reflet d'une conscience lucide et éclairée.