Adrien Pavão


Internet va-t-il se vider de toute présence humaine ?

Imaginez-vous naviguant sur un océan d'images, de musiques et de textes, sans jamais rencontrer âme qui vive. Tout semble familier, et pourtant rien ne vous paraît vraiment humain. C'est l'horizon dystopique que certains nomment la "Dead Internet Theory" : la théorie de l'Internet mort. C'est l'idée qu'un jour, internet ne serait plus qu'un vaste désert de contenus générés par des intelligences artificielles et de robots conversationnels.


Cette théorie, qui relevait initialement du complot, affirme qu'une grande partie du contenu que nous voyons en ligne pourrait déjà être générée automatiquement, nous rendant incapables de distinguer le vrai du faux. Pour beaucoup, cela ressemble à de la science-fiction. Et pourtant, certains signaux montrent qu'on s'en approche à grands pas.

En effet, la proportion de contenus générés par l'IA est en constante augmentation sur les réseaux sociaux. Sur Instagram, par exemple, on observe déjà un déluge d'images stylisées produites par des générateurs – certains clichés ressemblant à s'y méprendre à de vraies photos de vacances. Aux images s'ajoutent les vidéos, qui, certes, étaient étranges et facilement reconnaissables à leur arrivée, mais deviennent chaque jour plus réalistes, et finiront, inévitablement, par devenir indiscernables des vidéos réelles. Les textes fleurissent également sur LinkedIn, sur X, et autres articles de blog, souvent écrits, au moins en partie, par des modèles de langage comme ChatGPT ou Claude. En plus de tout ça, on trouve aussi une multitude de faux profils sur les réseaux sociaux, publiant et commentant à volonté.

La perte de contrôle

On estime que c'est en 2016 que le trafic généré par des bots, sur internet, a pour la première fois dépassé celui des humains. Pour autant, leur simple présence ne s'accompagnait pas nécessairement de production de contenus ou de messages. Mais ça, c'était en 2016. Entre-temps, on a vu émerger des modèles génératifs aux capacités époustouflantes. Il est donc probable que, dans les prochaines années, les outils basés sur l'intelligence artificielle finissent par dominer toutes les formes de création en ligne. Selon des chercheurs de l'Institut d'études sur l'avenir de Copenhague, plus de 99% du contenu sur internet pourrait, d'ici quelques années, provenir de ces modèles génératifs sophistiqués. Cette prédiction souligne un risque majeur : À force de vouloir "optimiser" nos publications pour les algorithmes, nous n'aurons plus que des robots qui parlent à d'autres robots, générant un immense vacarme numérique dépourvu d'intention humaine.

Certains parlent alors d'un internet zombie, saturé de textes creux, d'images artificielles, et de vidéos générées automatiquement, le tout mis en avant, mécaniquement, par des algorithmes de recommandation. Si l'IA est perçue comme un moyen de tout automatiser, y compris nos rapports sociaux et culturels, l'imprévisible – autrement dit, l'humain – risque d'être sacrifié au nom de l'efficacité et de l'optimisation. Ainsi se dessine le spectre d'un internet qui tourne à vide, n'ayant d'autre but que de multiplier des contenus sans signification réelle.

Et la suite ?

On peut donc se demander : quelles en seraient les conséquences ?

  • Première conséquence : La perte de sens. On se retrouverait avec des contenus qui se recopient et se répliquent entre eux, vidant de sa substance la création humaine. Les rares messages produits par des humains se retrouveraient alors perdus dans cet internet mort, tels des échos condamnés à ne jamais trouver d'auditeurs.
  • Deuxième conséquence : L'addiction aux algorithmes. Nous pourrions être enfermés dans des boucles de contenus créés sur mesure pour retenir notre attention.
  • Troisième conséquence : L'effondrement de la confiance. À mesure que les fakes se perfectionneront, il deviendra presque impossible de savoir si l'on a affaire à un vrai utilisateur ou à une IA.
  • Quatrième conséquence : Législation et preuve d'identité. Comme une solution au problème précédent, on pourrait exiger la vérification d'identité pour poster en ligne, afin de garantir un minimum d'authenticité.
  • Cinquième conséquence : Le retour au réel. Paradoxalement, face à l'invasion du faux, de plus en plus de gens pourraient se tourner vers des espaces physiques ou des groupes privés pour vivre des expériences plus tangibles.

Pour certains, la théorie de l'Internet mort est un mirage, pour d'autres, un cauchemar imminent, voire même une réalité déjà présente. Mais derrière ces prédictions dystopiques, on peut aussi voir une lueur d'espoir, une opportunité de reprendre le contrôle de nos réseaux numériques. Car, parfois, la crise inévitable amène à des changements profonds, pour le meilleur.

Alors qu'allons-nous décider ? Allons-nous accepter de surfer passivement sur ce tsunami de contenus automatisés et sans vie ? Ou bien saurons-nous redonner un visage humain à nos interactions sociales ?

Références

https://www.researchgate.net/publication/382118410_Dead_Internet_Theory

https://cifs.dk/news/what-if-99-of-the-metaverse-is-made-by-ai

https://www.imperva.com/resources/resource-library/infographics/bot-traffic-report-2016/